NOTE: L’interview que vous allez pouvoir lire ci-dessous a été menée au Japon par un fan français nommé David De ville. David a eu la chance de rencontrer Suzuki-san lors d’une entrevue d’une durée d’environ une heure, voici son contenu et bonne lecture.
Shenmue : de la création à aujourd’hui.
David : « Lors de mon séjour au Japon, j’ai eu le plaisir de rencontrer Mr Yu Suzuki, créateur de la saga Shenmue, mais surtout connu pour avoir travaillé sur des titres mythiques tels que Hang On, Space Harrier ou encore Outrun.
C’est donc le 18 septembre 2014 que j’ai eu la possibilité d’interviewer Mr Suzuki sur la saga Shenmue et ce, pendant un peu plus d’une heure.
Vous aurez droit à des explications sur les débuts difficiles du développement, des informations exclusives jamais dévoilées auparavant sur des personnages du jeu et des anecdotes toutes plus intéressantes les unes que les autres ! »
1) À la base, Shenmue était prévu sur Sega Saturn. Il a ensuite été porté sur Dreamcast. Mais existe-t-il une version jouable de la version Saturn quelque part ?
Yu Suzuki : Oui, effectivement, il a été, à la base, conçu pour la Sega Saturn. Quant à une version jouable, étant donné qu’il existe des archives de Shenmue, en cherchant, on pourrait peut-être la trouver chez Sega.
Concernant le contenu des prototypes, tout a commencé avec le projet « The old man and the Peach Tree » dans lequel le joueur incarnait Taro qui était à la recherche d’un maître de Kung Fu nommé Ryu. Des zones n’étaient pas accessibles et il fallait effectuer des quêtes afin de les débloquer et progresser dans le jeu.
Pour le développement sur la Sega Saturn, nous avons principalement travaillé sur le monde ouvert, la vérification des mouvements (basé sur un système RPG).
Nous avons aussi travaillé sur la qualité du rendu, les polygones, la vérification du nombre de polygones etc.
2) Si vous aviez terminé Shenmue et Shenmue II sur Saturn (entièrement), quel résultat auriez-vous obtenu à votre avis ?
Yu Suzuki : Concernant la qualité, elle était élevée sur Dreamcast (en comparant à la Sega Saturn). De ce fait, le jeu avait une meilleure atmosphère. Donc je pense que l’on a bien fait d’effectuer la transition car la Saturn avait atteint ses limites.
3) Pour revenir rapidement au projet « The old man and the Peach Tree », si vous aviez la possibilité de le faire avec la technologie actuelle, voudriez-vous en faire un jeu ?
Yu Suzuki : Il ne s’agissait en fait que d’un prototype. C’était une oeuvre courte donc non, je ne pense pas en faire un jeu. Il a été créé uniquement pour être utilisé en tant que prototype.
4) Est-ce qu’il existe des éléments (en dehors de la bicyclette) que vous aviez prévu d’inclure dans Shenmue et qui finalement, n’ont pas été intégrés ?
Yu Suzuki : Plutôt que de voir ça comme des éléments qui n’ont pas été ajoutés, je préfère voir ça comme des éléments abandonnés et c’est le cas pour la bicyclette. Il y a eu de nombreux éléments non ajoutés dans la version finale, comme par exemple, les ramens.
Je m’éloigne quelques secondes du sujet, mais je souhaitais créer le monde de Shenmue sur les critères du monde réel. Dans la vie, lorsque le temps passe, les ramens s’allongent, deviennent plus longs. Lorsque vous passiez commande, les ramens étaient petits, de taille normale, mais avec le temps, ils devenaient plus longs. À la base, c’est ce que je voulais faire, je voulais pousser les détails jusqu’au bout, mais finalement, ça n’a pas été possible.
5) Quelle est la raison pour laquelle ça n’a pas été possible d’ajouter cet élément de gameplay ?
Yu Suzuki : Ça n’a pas été possible car il y avait d’autres choses à ajouter et nous avions des choix à faire. Et sur le plan technique, c’était difficile à réaliser.
6) Y’a-t-il des éléments qui ont été inclus de justesse dans le jeu ?
Yu Suzuki : Pas vraiment. Cela dit et pour citer un exemple, je vais parler des PNJ. Le contrôle de la vie des PNJ a été effectué bien après. Cela ne faisait pas partie des étapes du développement, mais cela a été conçu par la suite.
Chaque personnage menait sa propre vie. Tout ça n’était pas prévu et cela a été fait et intégré entre temps. Ce fût une tâche assez lourde pour le personnel qui travaillait sur le jeu.
Si j’additionne les PNJ* de Shenmue et Shenmue II, je pense qu’il y en a plus de 450. Nous avons créé un background pour chaque personnage : nom, âge, poids, taille, son/sa partenaire, lieu de résidence etc.
Prenons par exemple un personnage qui tient un magasin ou travaille à la poste. Au Japon, en 1986, nous étions souvent en congé le dimanche. On travaillait du lundi au vendredi, et le samedi, le travail se terminait durant la matinée. Il y avait bien évidemment des entreprises où l’on travaillait les week-ends.
C’est ainsi que tout a été programmé. À quelle heure la personne se lève, sort de chez elle, va à pied jusqu’au travail, s’arrête au conbini pour acheter à manger, sort à nouveau pour aller prendre le bus etc. Le midi, il y avait la pause déjeuner, le personnage prenait son repas et aller le manger dans un parc. Le comportement du PNJ était différent selon le jour de la semaine et le week-end.
Tout ce processus intelligent contenait énormément de données. Donc même lorsque vous n’étiez pas proche du PNJ, celui-ci continuait quand même ses activités, comme par exemple, travailler.
D’ailleurs il m’arrivait d’enquêter sur le comportement des PNJ et vérifier leurs actions. J’attendais devant la porte d’une maison pour voir s’il allait en sortir, où il allait se diriger, qu’est-ce qu’il allait faire etc.
Ensuite, il y a eu d’autres points sur lesquels il fallait prêter attention. Si un PNJ marchait seul dans la rue, tenait un sac et qu’il se mettait à pleuvoir, il devait sortir son parapluie. Il fallait donc réfléchir et décider dans quelle main il porterait son parapluie et dans quelle main il porterait son sac.
Si je compare avec des MMO-RPG, un PNJ dans un jardin, par exemple, reste debout et ne bouge pas. Le joueur n’a pas l’impression d’être dans une ville vivante et c’est pour cela que j’ai voulu pousser les détails jusque-là et rendre la ville davantage réelle.
En fin de compte, je pense que la gestion de la vie quotidienne de tous les personnages non jouables était l’un des éléments les plus difficiles lors du développement de Shenmue.
*PNJ = Personnages Non Joueurs (les passants dans la rue).
7) Il y a d’ailleurs eu un problème avec ces derniers lors du développement n’est-ce pas ? Ils étaient tous bloqués au même endroit et ne pouvaient plus en sortir.
Yu Suzuki : Oui, c’est vrai. En fait nous avons du élargir la zone dans laquelle ils entraient, agrandir les portes automatiques et imposer une limite au nombre de personnages capables d’entrer dans le lieu. Ainsi, lorsque la limite était atteinte, les autres attendaient à l’extérieur. Il arrivait parfois, qu’à force d’attendre, certains PNJ arrivaient en retard au travail. (rires)
Un autre point sur lequel nous devions faire attention était l’espace dans la rue. Si deux personnages se rentraient dedans, il fallait les faire bouger, faire en sorte qu’ils empruntent des itinéraires différents afin de ne pas entrer en collision. Sans effectuer des tests, il n’était pas possible de corriger cela.
8) Lors du développement de Shenmue, vous ne vous êtes jamais dit qu’il y avait peut-être trop de PNJ dans le jeu ?
Yu Suzuki : Si on compte le nombre de personnes qui marchent dans les rues de Dobuita, on atteint facilement plus de 100 personnes. Je n’ai pas conçu Shenmue sur la base d’un jeu vidéo mais en tant que monde réel. Donc si 500 personnes avaient marché dans les rues de Dobuita, j’aurais probablement ajouté 500 personnages.
De plus, ce que je ne souhaitais pas, c’est que lorsque le joueur engage la conversation avec un PNJ, que celui-ci réponde de la même façon, et c’est ce qui se passe dans la plupart des jeux n’est-ce pas. Dans Shenmue, le système de conversation a été ajusté et modifié. Pour être plus précis, si les PNJ utilisaient de longues phrases, le nombre de données utilisées était trop volumineux. Nous avons donc compressé les données afin d’améliorer le jeu.
Par exemple, si vous parlez à un PNJ, vous l’aborderez avec : Excusez-moi… Il répondra ensuite avec une phrase courte et plusieurs options seront proposées à l’écran. De là, vous en choisissez une et un nouveau dialogue démarre. Le système a donc été optimisé ainsi afin d’éviter la surcharge de données.
David : (Mon commentaire personnel à Mr Yu Suzuki avant de passer à la question suivante) : « Même les jeux d’aujourd’hui ne proposent pas des dialogues aussi variés. »
Yu Suzuki : Oui, c’est vrai, ce n’est pas aussi poussé. De plus, pour en revenir aux données, lors de la version Saturn, le jeu était sur CD-ROM. D’après nos estimations, 50 CD-ROM étaient nécessaires pour le jeu complet. Mais ensuite il y a eu les GD-ROM et il fallait absolument sortir le jeu sur 2,3 voire 4 GD-ROM maximum.
9) Parlons un peu de l’histoire de Shenmue. Dans la séquence d’introduction, lorsque Lan Di affronte Iwao Hazuki, Iwao dit : ça ne peut pas être… toi ! Est-ce que cela veut dire qu’Iwao connaissait déjà Lan Di dans le passé ?
Yu Suzuki : Iwao connaissait le père de Lan Di (Zhao Sunming) car ils se sont entraînés ensemble en Chine. Cependant, Iwao n’a jamais vu Lan Di, même lorsque celui-ci n’était encore qu’un enfant.
(Commentaire entre temps où je redemande bien s’il n’a vraiment jamais vu Lan Di auparavant et voici ce que Mr Yu Suzuki m’a dit ensuite.)
Je pense qu’Iwao a eu cette réaction au début du jeu car il a compris que Lan Di était le fils de Zhao Sunming en le regardant. Souvent un fils ressemble à son père et je pense que c’est pour cela qu’Iwao a eu cette réaction (est-ce que ce serait le fils de Zhao Sunming?!), enfin ce genre de réaction.
10) Parlant de la séquence d’introduction. Je suppose que vous ne pourrez pas répondre à la question mais je demande tout de même : est-ce que Iwao a réellemment tué Zhao Sunming ?
Yu Suzuki : Ça, je ne peux pas vous le dire (rires). C’est un peu comme si je vous révélais la fin d’un film avant que vous ne l’ayez regardé. Donc, je ne peux rien vous dire !
(Yu Suzuki me reprend 2 secondes pour me dire que finalement, Iwao a peut-être déjà vu Lan Di lorsqu’il était petit. Cela fait longtemps qu’il n’a pas vérifié le scénario dans les détails, donc il n’est pas à 100% sûr).
11) Pour rester sur le personnage de Zhao Sunming, les fans aimeraient savoir une chose : est-il vraiment mort ?
Yu Suzuki : Il est mort.
David : (Chose intéressante à noter pour les fans de Shenmue, je lui ai demandé une deuxième fois s’il était vraiment mort et il a répondu différemment. Si je fais la traduction, ça pourrait donner 2 possibilités :
– Pour le moment, il est mort
– En tout cas, il est mort
Il a un peu rigolé lorsque je lui ai demandé pour la deuxième fois. Reste donc à savoir si Zhao Sunming est réellement mort. Le doute peut donc subsister. Fans de Shenmue, à vos prédictions !
12) Les boss des Chiyoumen sont au nombre de 4. Parmi ces boss, les fans de Shenmue n’en connaissent que 3 : Lan Di, Niao Sun et le frère de Hong Xiuying (Hong Ziming). Pourriez-vous nous en dire plus sur le dernier boss ?
David : « Commentaire : sachez que je n’avais même pas encore terminé de poser la question que Mr Suzuki a répondu rapidement, voici ce qui a été dit) : »
Yu Suzuki : Lan Di (Rantei-Souryu/藍帝(蒼龍)) gouverne l’Est et est aussi nommé Dragon Bleu. Quant à Niao Sun, elle est également nommée 炎帝 (Entei), gouverne le Sud et représente le Phénix.
Concernant les deux derniers boss qui n’ont pas encore été révélés, l’un se nomme Koutei (昊帝) et gouverne l’Ouest. Quant au dernier, il se nomme Gentei (玄帝) et gouverne le Nord. Ils sont respectivement représentés par le Tigre et la Tortue. Cela dit, Hong Ziming ne fait pas partie des 4 leaders.
(Commentaire : vous decouvrez donc en exclusivité mondiale les noms des 2 derniers boss, concluant ainsi le cercle des 4 boss des Chiyoumen !)
13) Cette année, lors de votre conférence à la GDC, vous avez montré pour la première fois d’anciens artworks issus du RPG basé sur le personnage d’Akira de Virtua Fighter. Sur l’un de ces artworks, il y avait plusieurs personnages :
David : Depuis, les fans se sont penchés dessus et ont tenté de découvrir qui étaient les personnes présentes sur ce cliché. Pouvez-vous nous dire s’ils ont raison ou tort ?
Yu Suzuki : Je ne peux pas en dire beaucoup car nous sommes encore très loin de ce moment. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il ne s’agit pas des Chiyoumen mais de Grands Maîtres.
14) Shenmue III n’est pas encore en développement mais pourriez-vous nous dire comment vous souhaiteriez démarrer celui-ci ? Allons-nous reprendre dans la caverne ou bien… ?
Yu Suzuki : Je n’ai pas encore décidé de l’endroit où commencerait Shenmue III, mais idéalement, j’aimerais qu’il démarre dans la maison de Shenhua.
15) À part continuer à parler de Shenmue III sur internet, que pourrait faire la communauté de fans afin de vous aider à le réaliser ?
Yu Suzuki : Les fans me soutiennent depuis de nombreuses années et je les en remercie. Quant à Shenmue, ce n’est pas Sega qui pose problème. En fait, pour développer Shenmue, il faut un certain budget et si j’arrive à réunir la somme nécessaire pour financer Shenmue III, alors Sega me laissera le faire.
Je pense que Sega ne souhaite pas prendre de risques sur le plan financier en réalisant Shenmue III. C’est pour cela qu’il me faut réunir le budget nécessaire. En tout cas, même si je souhaiterais travailler sur d’autres projets que Shenmue, si l’occasion se présente, je voudrais le réaliser. De plus, je ne pense pas que quelqu’un d’autre puisse le réaliser de la même manière que je souhaite le réaliser.
Le budget est vraiment important car s’il est insuffisant, Shenmue ne sera pas à la hauteur.
16) Le budget et donc l’argent, sont les problèmes principaux… Si vous parvenez à réunir le budget et à faire Shenmue III, pensez-vous qu’un seul jeu suffira ? Sachant que l’histoire de Shenmue est profonde et est encore loin d’être terminée.
Yu Suzuki : Oui en effet, l’histoire est encore loin d’être terminée et pour être franc, je ne pense pas que l’histoire se terminera avec Shenmue III. Si je devais le faire à ma manière, il faudrait probablement aller jusqu’à Shenmue V pour en voir la fin. Mais comme cela semble beaucoup, je pense que je tenterais de réunir tout ce qu’il reste en deux jeux.
Si vous aussi vous souhaitez soutenir Mr Yu Suzuki, rendez-vous sur le groupe Shenmue500k présent sur Facebook. Groupe qui organise des Tweetathons tous les 3 de chaque mois afin de soutenir la saga Shenmue.
En attendant… « The story goes on… »
Remerciements à David De Ville.
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PS: Une interview d’Éric Chahi (grand monsieur du jeu vidéo français) est également disponible dans ce numéro.